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FREUD de Marvin Kren (2018),

écrit le 12/04/2020, MG.

FREUD cartonne sur Netflix. Un succès pour une très étrange série criminelle, mêlant intrigue policière et fantastique, sexe et hémoglobine, anachronismes théoriques et pure fiction, aux égarements prépsychanalytiques d’un Freud sous cocaïne, dans une Vienne de la fin du XIXème siècle, sombre, sale et grouillante dans ses bas-fonds. Cette production autrichienne, déjà diffusée de l’autre côté des Alpes en 2018, a débarqué le 23 mars 2020 sur la plateforme de vidéo à la demande, ouvrant le confinement mondial, pour atteindre, quelques jours plus tard, le top 3 du géant américain. Pourtant les critiques sont acerbes. Intransigeantes. Sans complaisance. Le mélange mal fagoté le confine, par exemple pour Le Monde, à une caricature : « La série de Netflix distord les faits historiques et scientifiques de manière grotesque (...) De là à faire du neurologue un Sherlock Holmes flanqué d’une médium et d’un policier, dépêchés sur des crimes horrifiques dans une Vienne gothique, brouillardeuse, éclairée à la gélatine bleue, il y a davantage qu’un pas ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mais la série aura eu un mérite tout de même – en plus de celui d’avoir diverti un grand nombre de confinés. Elle aura pris le parti – mais était-ce véritablement intentionnel ? – de gonfler jusqu’au fantastique un aspect souvent méconnu de la psychanalyse, qui concerne aussi bien ces origines que l’œuvre proprement psychanalytique de Freud. L’invention de la psychanalyse est inscrite au cœur du naturalisme et des sciences dites « positives », qui ont été aussi l’un des enjeux majeurs du XIXème siècle, de la naissance de la clinique, de la médecine moderne et de l’esprit scientifique. C’est une véritable chasse au charlatanisme qui s’est organisé à cette époque, une chasse à l’ambigu, à l’informe, à l’équivoque. Le projet freudien est un projet éminemment scientifique. Mais c’est un projet qui a admis dès le départ, dans sa théorisation-même, la part de négativité qui la travaille en sous-main, et qui a toléré toute l’ambiguïté de son objet : l’objet psychique. L’objet psychique est et n’est pas totalement observable, mesurable, objectivable. Il est et n’est pas totalement neurologique et cognitif, spirituel et mystique… Au positivisme de sa science que Freud veut pour la psychanalyse, vient s’opposer, entrer en contradiction, un fond animique, magique. Freud restera autant fasciné, troublé, que rebuté, sceptique face à l’occulte, à la télépathie, à la transmission de pensées, à la parapsychologie, au magnétisme, à la médiumnité… C’est-à-dire toute la profondeur énigmatique que lui avait ouverte l’hystérie par la pratique de l’hypnose, même si l’hystérie restera à jamais irréductible.

 

Au début de l’année 1880, alors que Freud termine ses études de médecine, le danois Carl Hansen, l’un des plus célèbres hypnotiseurs de son époque, donne des soirées de démonstration au Ringtheater de Vienne. Il attire les savants et intellectuels les plus en vue, tel Franz Brentano, à ses représentations. On se bouscule aux guichets. Freud y est, un soir de janvier, présent au côté de Josef Breuer et est fortement marqué. Hansen attire un large public sur lequel il fait une forte impression. Ses démonstrations de catalepsie, de contractures, d’hallucinations négatives et d’amnésies post-hypnotiques provoquent un engouement extraordinaire, jusqu’au trouble. Après avoir consulté la Faculté de médecine de Vienne, la police décide finalement, le 18 février, d’interdire ses représentations dans la capitale autrichienne. Mais Breuer qui suit l’histoire de près, se convainc de l’intérêt thérapeutique de l’hypnose. Freud le suivra à ses côtés.

Pour la petite histoire – et que la série reprendra –, le Ringtheater fut détruit à la fin de l’année 1881 par un gigantesque incendie faisant des centaines de victimes. Transformé par la suite en logements, Freud – sans le sou en poche – sera l’un des tous premiers locataires de ce lieu maudit que tout Vienne appellera par la suite la maison de l’Expiation. Mais « Foin des superstitions, et de Faute ! », dit-il dans une lettre adressée à Martha.

 

La psychanalyse chez Freud est travaillée par le fond animique de son objet, par ce fond-là. Voilà peut-être aussi, une lecture alternative qui pourrait être faite de la série populaire de ce début de confinement.

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"AUX ARMES 2020",

écrit le 24/05/2020, MG.

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Le 16 mars 2020, quelque part entre 20h et 20h30 : il a été déclaré que nous étions « en guerre ». Une guerre contre un ennemi invisible. Nous étions assiégés et enjoints à stopper immédiatement nos modes de vie libérale pour enrayer l’invasion. Une guerre contre un ennemi invisible mais sans « tête de boche » sur laquelle taper après tout ça. Que ferons-nous de la souffrance et de la haine ?

Restons « confinés ». Cette rhétorique de la terreur a débuté après les attentats de 2015. Car c’est bien de terreur qu’il s’agit là, encore. La terreur face à cette figure de l’étranger – le ou la covid-19 – qui fait trou dans le réel. Il ou elle n’est pas notre grippe saisonnière et familière, maîtrisée par les épidémiologues, avec ses statistiques précises de cas et de décès pour l’année. Là, il n’en est rien. Il ou elle est l’étranger radical, essentiel, pur… C’est un trou dans nos manières de vivre ensemble et qui donne déjà à voir les signes manifestes d’une paranoïa sociale à venir, où le prochain pourrait être soupçonné de porter en lui le « mal ». La « mort » y est pour quelque chose là-dedans. Elle est l’obsession. La « mort de Narcisse » est comme perte anale, une mélancolie sourde… L’angoisse de disparaître dans la nuit souterraine des entrailles de l’hypercité. La pénurie de papier toilette ne dit que ça. Netflix ou Amazon Prime Video, grands vainqueurs du confinement, auront bien profité du besoin de récupération orale de cette perte anale.

Sur les chaînes d’information continue, ces autres écrans, au lieu d’assumer leur profonde méconnaissance, des visages blêmes aux voix désaffectivées, toujours les mêmes, sont entrés dans une surenchère de chiffres jusqu’à la perte de sens. Il y a de l’absurde dans tout cela, mais aussi de l’insensé. Il est vrai qu’on n’en finit pas de dénombrer nos morts, sacrifiés à l’autel du capitalisme et de sa « machine de guerre ». Et ces morts, nous n’aurons pas pu les accompagner humainement par les rites funéraires qui nous permettent de nommer la mort, d’accéder au deuil tel qu’il est porté par les rituels de la civilisation. Il faudra donc aussi faire avec cette blancheur dans l’âme, ces trouées.

Soir de l’Armistice (le 8 mai). Précisément : le week-end d’avant le Jour d’après (pas celui d’Emmerich). Un visage masqué apparaît, sur une façade d’une rue stéphanoise, signé « Aux Armes 2020 ». La guerre serait-elle donc finie ? Dans deux jours, ça sera le déconfinement : le 11. Coïncidence ? Sur ces lignes de changement de date – qui auront fait date dans l'Histoire –, nous sommes les naufragés de L’Île du jour d’avant (d’Ecco), les prisonniers de notre temps.

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